Deuxième partie : L’influence de la morale

Si la réglementation française influe fortement sur la production de publicité comparative, on ne peut totalement lui imputer le faible nombre de publicités de ce genre en France.

En effet, avec l’application en 2002 et 2007 des directives européennes, la loi s’est assouplie et l’on aurait pu s’attendre à voir sur les écrans de télévision une recrudescence de publicités comparatives.

Pourtant, les entreprises restent frileuses face à cette technique de communication, il semble qu’en un sens, elles soient victimes d’une certaine autorégulation.

Des entreprises frileuses

On constate que les quelques spots diffusés en France sont principalement basée sur des comparaisons de prix. Il s’agit surtout d’une utilisation des chiffres. On dit par exemple qu’un produit A est plus cher au magasin 1 qu’au magasin 2. On va même jusqu’à préciser cette différence par des pourcentages. Cela peut être assez lourd, et surtout peu créatif.

 

Depuis les premiers spots à aujourd’hui, on ne connait presque qu’exclusivement ce genre de publicité comparative. Parmi les premiers, on se souvient de Télé 2 moins cher que France Télécom ; aujourd’hui, Leclerc a la même stratégie en annonçant que ses produits sont en moyenne moins chers que chez Auchan ou Système U.

Tout d’abord, les entreprises ne supportent pas d’être victimes de la comparaison.

Cela peut sembler une évidence, mais là où dans d’autres pays elles se contentent de répondre par d’autres publicités comparatives (Coca/Pepsi, Audi/BMW…), les entreprises françaises semblent avoir le recours en justice facile, et les procès à ce sujet ne manquent pas :

On compte d’abord un certain nombre de procès antérieurs aux années 2000. Plusieurs portent simplement sur la non communication préalable à l’entreprise visée (fait obligatoire avant 2007), d’autres sur une simple publicité mensongère, mais les cas les plus intéressants sont de loin ceux portant sur l’objectivité. 

Quels critères sont objectifs, et lesquels ne le sont pas ? Le critère du prix a depuis les débuts de la publicité comparative en 1986, été entériné comme objectif. Il va de soi que celui du goût, de la saveur, ne l’est pas.

Mais qu’en est-il par exemple de celui des ventes ? C’est la question que soulève le Procès qui opposa Volkswagen à Renault au sujet du slogan : « Renault vend deux fois plus de voitures en Allemagne que Volkswagen en France »

Curieusement, le slogan sera jugé subjectif, ne se base t’il pourtant pas sur un fait vérifiable ? Evidemment, cette comparaison ne veut pas dire grand-chose : La France et L’Allemagne n’ont pas la même population, n’ont pas les mêmes habitudes en matière de voiture…la publicité Renault peut donc induire le consommateur en erreur.

On observe pourtant dans la publicité traditionnelle des slogans bien plus sujets à la tromperie qui pourtant ne soulèvent aucune critique ou procès. Prenons pour exemple le subtil slogan de Axe : « Plus t’en met, plus t’en as! », peut-on vraiment affirmer qu’un déodorant influe sur la virilité? 

De l’autre côté, ni le tribunal de grande instance ni la cour n’ont jugé inappropriée la représentation des audiences d’NRJ et de d’Europe 1 sous la forme de canette sous titrée 

« NRJ nouvelle contenance ; 30 % d’audiences de plus qu’Europe 1 » dans la publicité de 1993.

Il s’agit aussi ici de critères quantitatifs de public, de ventes, (même si on préfère parler d’audience), et des différences entre Europe 1 et NRJ peuvent aussi bien rendre ce slogan trompeur. (Visent-ils le même public ? Couvrent-ils le même territoire ?) 

On voit donc que l’idée d’objectivité, de pertinence pose problème dans la publicité comparative, alors que personne ne s’en embarrasse autant pour les autres types de publicité. Il semble que la moralité prenne en publicité comparative une plus grande place que dans la publicité « traditionnelle » : on pourrait entendre derrière ces obligations d’objectivité la morale chrétienne : Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain. 

Suite aux la directives européennes entrées en vigueur en 2002 et 2006, la notion d’objectivité tend à disparaître. Les procès au sujet de publicité comparative ne sont pas pour autant moins nombreux : Renault contre Feu Vert, Carrefour contre LeaderPrice…on retrouve la notion de publicité mensongère, mais une nouvelle notion apparaît : celle de dénigrement. 

C’est ainsi pour dénigrement que Nespresso assigne ChacunSonCafé en justice, ainsi que pour publicité comparative illicite. Si en Février 2010, ChacunSonCafé est relaxé pour la publicité comparative illicite, le site est condamné à 10.000 euros de dommages et intérêts pour dénigrement.

Là encore, il est légitime de se poser la question : Le simple fait de s’affirmer meilleur qu’un autre ne constitue-t-il pas un dénigrement? Qu’y a-t-il de mal à dénigrer pourvu que ce soit rigoureusement argumenté ?  

Il semble qu’une fois de plus, les entreprises en France se targuent de morale pour défendre leurs propres intérêts, jouant les victimes face à toute tentative de concurrence pour un peu agressive. La mise en vente de machines à café non interopérable ne témoigne pourtant pas d’une attitude plus agressive encore ?

Ce n’est pas tant la loi qui freine la création de publicité comparative, mais les entreprises elles-mêmes qui exploitent chaque point de cette loi pour se défendre de toute comparaison éventuelle. Cette tendance ne pousse évidemment pas les entreprises à réaliser des publicités comparatives elles-mêmes, redoutant les réactions et réponses de leurs concurrents.

Une mauvaise image

Adoptée par la loi française depuis 1992, la publicité comparative n’en demeure pas moins sous-utilisée dans l’hexagone. Nous l’avons déjà dit, les limites posées par la loi sont un frein à sa démocratisation. Un frein, certes, mais pas un obstacle infranchissable et c’est donc avec un grand étonnement que l’on constate la faiblesse du nombre de publicités comparatives en France. Logiquement, les questions que l’on se pose sont : si ce n’est la loi, qu’est ce qui l’empêche de définitivement s’imposer sur nos écrans ? Pourquoi cela marche aux Etats-Unis et pas en France ? La culture. L’exception culturelle européenne ou française. Outre Atlantique, cette démarche commerciale est considérée comme légitime, en raison de son caractère informatif. Elles font souvent rire (cf campagnes de pub Pepsi vs Coca Cola), sont créatives et si « l’attaque » est faite avec subtilité et justesse, cela devient un bonus non négligeable pour la marque qui compare. En France, la publicité comparative a longtemps été interdite, car elle était considérée comme fortement déloyale et à vrai dire, si l’on sait tous qu’elle est autorisée aujourd’hui, elle est encore perçue comme une « agression ». Elle est clairement mal vue. Ainsi, le consommateur français, plutôt que d’y voir son avantage, y voit là un procédé mesquin, visant à dénigrer la concurrence. L’effet désiré peut donc s’avérer inverse et l’on comprend la « frilosité » française en termes de publicité comparative.

La réputation en danger

La réputation d’une entreprise passe d’abord par la notoriété qu’elle aura pu se créer sur le marché. Elle est le fruit d’années de campagnes publicitaires, de services, de qualité du produit et autres efforts en faveur de leurs clients. La réputation peut faire et défaire le succès d’une entreprise. C’est un travail de tous les jours, qui, à la moindre erreur, peut s’écrouler. En France, cette erreur pourrait bien être de s’attaquer à une autre entreprise par le biais d’une publicité comparative. Malgré tout, il faut savoir que ces pubs sont informatives et ont pour objectif d’avantager le consommateur français. Certes, mais ce dernier n’aime pas vraiment ce genre de pratiques, car il considère cela comme une agression. Le mot est fort. Sur Internet, les forums consacrés à ce sujet, regorgent de commentaires assassins vis à vis de la publicité comparative : « C’est taper sous la ceinture », « Pourquoi s’abaisser à ce genre de pratiques ? », « Se comparer de la sorte, c’est prouver que l’on a un complexe par rapport à son concurrent ! », ou encore « Si c’est tout ce dont ils sont capables pour faire leur publicité, c’est qu’ils n’ont pas grand chose à dire… » En résumé, voici ce que la publicité comparative représente à leurs yeux :

  • Un manque de fair-play.
  • Une pratique « basse et petite »
  • C’est afficher un complexe d’infériorité
  • Un manque de créativité

Ce n’est qu’un petit florilège des réactions suscitées par ces publicités. Au final, alors que la volonté initiale du comparant était de faire valoir sa différence face à la concurrence pour le bien du consommateur, celui-ci acquiert une très mauvaise image auprès de celui qu’il voulait « charmer ».  Au paroxysme de la mauvaise pioche, il y a la campagne de « Feu Vert ». En 2009, l’enseigne française lance une campagne de publicité télévisée comparative sur une sélection de pneus reprenant les chiffres d’une étude exclusive BVA. Les comparés sont : Point S, Speedy ou Renault. Ce qui va poser problème alors à un certain nombre de Français est le slogan de la publicité : « Je ne dénonce pas, j’informe ». Pour beaucoup, le choix des mots est très délicat et s’apparente même à une période sombre de notre histoire : la collaboration durant l’occupation de la France par les Nazis. La réaction est effectivement violente et disproportionnée, mais c’est l’utilisation de verbes tels que « dénoncer » et « informer », en plus du ton assez arrogant prêté au chat Feu Vert, qui vont déplaire. Dés lors, on trouve sur la toile un florilège d’accusations à ce sujet, traitant l’enseigne et le chat de « collabos » (il existe même un groupe sur Facebook intitulé : « le chat Feu Vert est un collabo ! »). Inutile de dire à quel point ces réactions sont extrêmes bien entendu, mais voici ce que provoquer une campagne de publicité comparative en France…

Un effet parfois inverse

En France, la publicité comparative peut avoir deux effets inverses : l’atteinte à sa propre réputation, on l’a dit, mais aussi, et c’est là un comble, le renforcement de la concurrence visée ! En effet, en basant sa campagne sur les défauts de son adversaire, on lui offre un coup de projecteur gratuit. En citant le leader d’un marché et en affichant ses prix, on entretient son nom, sa notoriété, ainsi que la connaissance de ses services. De plus, le leader d’un marché ne se compare pas aux autres, c’est inutile compte tenu de sa position, sous peine de ne pas être reconnu par le consommateur comme le leader. Les suiveurs, en revanche, jouent à ce petit jeu de la comparaison, afin de gagner des parts de marché. Le problème, c’est qu’ils affichent alors leur infériorité face à un adversaire puissant, n’ayant pas besoin de cela pour les combattre…

Ensuite, il faut savoir que si l’on se lance dans ce genre de procédés, on offre à son/ses adversaire(s) un droit de réponse. On prend donc le risque de voir la concurrence retourner la situation en sa faveur. S’il arrive à gommer la mauvaise image que l’on souhaite lui donner, on se retrouve alors sans idées face à un opposant à qui il en reste. Celui-ci se voit même capable de corriger ses défauts et/ou de vous congédier publiquement. En conséquence, si cela arrive, que vous reste-t-il ? La solution est de changer de stratégie et d’admettre sa défaite. C’est un peu la technique du « donner le bâton pour se faire battre ».

Enfin, le comparé, en se faisant attaquer de la sorte peut, à son grand bonheur, bénéficier en retour de l’image de la « pauvre victime » auprès du grand public. Il devient celui qui n’avait rien demandé à personne et qui s’est injustement fait attaquer. L’un devient l’agresseur et l’autre une sorte de martyr, toutes proportions gardées. Il ne s’agit que de publicité, certes, mais, après tout, c’est un sentiment compréhensible. Nous nous identifions et aimons plus fréquemment le faible que le fort.  

Il est donc tout indiqué que le procédé de publicité comparative est à appliquer avec une extrême précaution dans l’hexagone, voire à ne pas utiliser du tout. C’est ce qu’on appelle « l’exception culturelle » française. Si la concurrence est de mise et bien qu’elle soit légale, la publicité comparative n’est que très peu tolérée dans l’esprit collectif, qui le considère comme déloyale. Néanmoins, nous allons voir que le reste de l’Europe n’est pas forcément si différent de la France quant à l’appréciation de ces publicités. Plus qu’un phénomène franco-français, il semble qu’il faille l’étendre au-delà de ses frontières.

Une autorégulation

Le meilleur moyen de réaliser la carence de créativité française en matière de publicité comparative est encore de regarder à l’étranger. 

On a déjà vu dans l’Influence de la Réglementation à quel point les Etats-Unis notamment sont inventifs en la matière, mais on a vu aussi comment leurs publicités les plus marquantes ne sont pas transposables en France en raison de leur caractère gratuit et non argumenté. Il existe cependant des publicités inventives, ne s’appuyant pas sur l’argument du prix mais sur d’autres critères de comparaison.   On peut citer la publicité du Kindle comparé à l’Ipad. Ici le point de comparaison est la lisibilité au soleil des deux terminaux. La publicité n’est ni mensongère, ni subjective, et se construit autour d’un critère parfaitement comparable. Elle va pourtant au-delà d’un bête tableau comparatif, mettant en scène un scénario, des personnages… 

Même chose pour la publicité comparative de Dell qui compare son ultra portable au MacBook Air d’Apple. Reprenant la publicité dans laquelle Apple mettait en avant la petite taille de son MacBook, Dell prouve que son Latitude E4200 est plus petit encore. Là non plus, rien de mensonger, seulement les faits et un clin d’œil très appuyé à la publicité d’Apple. 

Aucune de ces deux publicités n’enfreindraient en France le cadre légal, pourtant on ne voit jamais sur les écrans français de ces publicités comparatives inventives, ingénieuses, comparables à celles-ci. Est-ce que les publicitaires français sont simplement plus mauvais ? C’est peu probable, c’est surtout dans la culture qu’il faut chercher les raisons de ce décalage. Légalisée tardivement, la publicité comparative n’est pas dans les mœurs françaises. Elle n’est donc peut-être pas considérée comme rentable, efficace. On voit bien que si la loi restreint la créativité, c’est aussi une forte autorégulation et frilosité des entreprises et publicitaires qui empêchent cette technique de se développer en France.

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